Et plus rien ne serait comme avant

Je me souviens encore de cette projection du Micro-Salon 2009 qui nous avait tous scotchés. Nous étions dans la grande salle de la rue Francoeur, et nous contemplions les superbes images tournées par un photographe, seul en reportage en Afrique… stupéfiant. Puis, sur une petite table où nous était dissimulé un objet, on nous dévoilait le boîtier à l’origine de ces images : le 5D Mark II. Un petit reflex numérique était donc capable de tourner en 1080P sur un capteur plein format, avec des profondeurs de champ jamais vues jusqu’alors en numérique. La prise en main était aux antipodes de nos pratiques, mais nous découvrions ce jour-là qu’une image cinématographique était désormais à la portée de tous.

 

Des années contrastées

Vinrent les premières caméras de la gamme EOS Cinéma, avec la très controversée C300. L’ergonomie était singulière et déroutante, malgré tout elle a inondé le marché et de nombreuses opératrices et opérateurs l’ont utilisée, avec plus ou moins d’envie il faut bien le dire. Mais une certaine « color science » était déjà là : le tout premier C-Log nous offrait une très belle texture d’image à l’étalo, surtout dans les teintes chair, et la « rondeur » des objectifs EF nous aidait à atténuer encore davantage le rendu numérique qu’on s’évertuait sans cesse à vouloir gommer.

La C300 Mark II a, elle aussi, eu son heure de gloire avec sa nouvelle résolution en 4K et son très apprécié codec 422 10 bits 400 Mbps sur carte CFast. Puis, depuis 2017, plus de grand succès commercial. Il y a eu la très anecdotique C700, les très mal connues C300 Mark III et C500, puis la C70, qui aura certainement bénéficié de la pénurie des Sony FX3 et FX6, l’année du confinement. Pourtant, la C70 a conquis beaucoup de celles et ceux qui s’y sont mis, mais elle est restée une caméra à « posséder », guère demandée à la location.

Les nouvelles à l’épreuve

En décembre dernier, j’ai participé chez TRM à la découverte des C400 et C80 sorties en 2024. J’ai été séduit par les nouvelles spécificités de ces deux caméras. Elles sont toutes les deux plein format et enregistrent en interne jusqu’à 6K en RAW. Elles proposent un triple ISO natif (800, 3200 et 12 800 !) et ont tout l’air d’avoir enfin un autofocus digne de ce nom. Canon serait-il revenu dans le «game»?!

En tant que membre de l’UCO, j’ai proposé à Lionel Cavadini et Cédric Martin de chez Canon de pouvoir les tester en conditions de tournage. Ce que nous avons fait à la fin du mois de mars avec les camarades Fabien Lamadie et Thomas Faverjon.

Nous avons tout d’abord passé une journée sur banc chez Telline à Malakoff, puis nous sommes allés sur un splendide plan d’eau, les marais de Fontenay-le-Vicomte : un site remarquable pour filmer les oiseaux. Canon nous a prêté une C400, une C80 et des zooms : le 15-35 , le 24-105 (à f2,8 !) , le 70-200  et le 200-800 , tout cela en monture RF bien entendu.

La monture RF permet des optiques plus ramassées, du fait que la distance entre la dernière lentille et le capteur a été drastiquement réduite (plus besoin de l’espace dédié au miroir reflex, qui a définitivement disparu).

Ce qui nous a tout de suite frappés, c’est la quantité de boutons de raccourcis : 13 sur leurs corps respectifs (avec 5 de plus entre la poignée et son écran pour la C400). Ces raccourcis pré-réglés sont marqués et peuvent évidemment être reconfigurés selon son usage. Un point important pour les tournages de nuit : ils sont rétroéclairés.

Le menu déroulant est plutôt clair et intuitif.

La liste des formats d’enregistrement est très (trop ?) dense. Par exemple, pour la C400, en 25P, nous avons compté pas moins de 15 réglages possibles : du Full HD 420 8 bits au 6K RAW 12 bits, en passant par les 4K Ciné et UHD.

Les cadences max sont de 60 i/s en 6K, 120 i/s en 4K et 180 i/s en 2K sur la totalité du capteur.

Sur la C400, nous avons 3 modes de format capteur : Full Frame, Super 35 et Super 16 ! Très pratique quand on est limité en longueur focale…

À l’instar de Sony, Canon offre deux Log d’enregistrement : le Log 2 et le Log 3. Par contre, c’est l’inverse de Sony : c’est le Log 2 le plus flat et optimal (16 stops) et le Log 3 le plus contrasté (14 stops).

Des LUT peuvent être appliquées dans la C400 en .cube 17 ou 33. Pour nos tests, j’avais récupéré des LUT auprès d’un ami équipé en Canon, qui m’a conseillé celles de Taylor Edwards (voir lien ci-dessous). En pratique, nous ne les avons pas utilisées puisque nous ne pouvions pas les charger sur nos deux caméras.

Pour le tournage, nous avons choisi la LUT « BT 709 Wide Dynamic Range » qui nous a semblé la plus jolie en situation de fort contraste.

Comme il a fait très beau, nous avons regretté qu’il n’y ait pas de visée fournie comme le fameux Canon EVF-V70, qui était pourtant disponible sur les C700, 500 et 300 Mark III. La demande d’un viseur est a priori prise en compte par la maison mère, mais aujourd’hui il faut passer par un équipementier comme Zacuto. Le Z-Finder reste une usine à gaz à monter, ou sinon il faut basculer sur le Gratical.

Heureusement, les LCD des caméras sont bien lumineux et nous avons pu faire nos plans sans trop de difficultés. Les ND internes permettent une compensation jusqu’à 10 diaphs. Se méfier toutefois de la juxtaposition des filtres ND qui, au-delà des 6 stops, change le point à fond de zoom.

Je n’utilise jamais de kit épaule (je suis trop grand et cela me bloque en plongée), j’avais donc très hâte d’essayer la C400 en configuration «run and gun», c’est-à-dire en prise directe sur la poignée latérale. J’y ai mis le zoom 24-105 RF qui pèse 1,480 kg ce qui en fait un zoom plus lourd que le 70-200 RF ( 1,260 kg) et avec le même encombrement… Après une journée dans les mains, nous avons oublié son poids et apprécié son ouverture à 2,8 et ce, en parfocal !

Pour les plans à l’épaule, j’ai tourné avec les deux modes de stabilisation interne (IS mode). Le premier rogne d’environ 10 % d’image et compense gentiment les soubresauts. Le deuxième rogne, lui, près de 20 % de l’image car il maintient l’horizon de manière bien plus radicale. D’autres tests seraient nécessaires pour vraiment comprendre les limites et les atouts de ces deux modes de stabilisation.

Nous allons dérusher et faire un petit montage de nos images, qu’on vous partagera très prochainement.

Au final, d’un point de vue pratique, ces deux jours de tests nous ont clairement laissé une impression positive. On notera que le triple ISO jusqu’à 12 800 ouvre de nouvelles perspectives à la gamme et que la polyvalence du 24-105 (f2,8) va forcément séduire beaucoup d’entre nous.

On sent que Canon a écouté — au moins en partie — les retours du terrain, et tente de revenir sérieusement dans la course face à une concurrence ultra-dynamique. Est-ce que ces caméras vont redevenir des références incontournables comme l’ont été le 5D Mark II et la première C300 ? C’est sans doute encore un peu tôt pour le dire. Mais une chose est sûre : elles marquent un vrai tournant et donnent furieusement envie de les embarquer sur des projets où légèreté, polyvalence et qualité d’image doivent cohabiter sans compromis. Reste à voir si les chef.fes op suivront.

Les commentaires de Fabien Lamadie:

« Souvenir: le 5D MkII est pour moi LA caméra de mon entrée dans ce métier. Je crois pouvoir comparer son impact sur la création aux évolutions technologiques en termes de mobilité qui ont permis la Nouvelle Vague. C’est toute une génération qui a eu l’occasion de créer grâce à ce boîtier.

La C300 mark II m’a accompagné sur mes premiers pas également. C’était la caméra de la première série produite sur laquelle j’ai travaillé comme second assistant cam, et je l’ai eue de nombreuses fois dans les mains sur tous types de projets.

Concernant mes impressions sur la nouvelle C400 , j’ai deux notes essentielles : La première étant l’ergonomie, sa tenue en main. Elle semble plus assumée, plus franche, plus rectangulaire que ne l’était la curieuse forme aérodynamique de la C300 à l’époque.

La deuxième, et la plus importante : la légèreté. J’ai été époustouflé par le poids des boîtiers et des optiques de nos tests.

J’ai aussi passé beaucoup de temps avec la C80, et pouvais m’imaginer avec plaisir l’utiliser dans un contexte d’opérateur seul. J’aurais du mal à imaginer aujourd’hui une configuration plus légère qui reste aussi fonctionnelle.

En points négatifs: je suis encore embêté par les relectures qui ne permettent pas d’afficher la LUT utilisée. Détail qui n’est pas propre à Canon, mais que j’espère voir corrigé dans de futurs firmwares.

Les menus sont assez clairs, mais toujours très — et trop — fournis, ce qui me conforte dans l’idée de la considérer, comme la C70 avant elle, comme une très bonne caméra à posséder ou à utiliser sur des projets longs en petite équipe. J’imagine bien paramétrer tous ces boutons et raccourcis selon mes propres préférences et habitudes, jusqu’à arriver à l’utiliser sans même avoir besoin de la regarder.

L’autofocus semble progresser dans la bonne direction. Je l’ai essentiellement utilisé sur des animaux et dans des environnements lumineux, et dans ces situations, il ne m’a quasiment jamais fait défaut. Il s’agirait maintenant de le comparer sur des humains et en basses lumières aux performances des Sony. »